Accord de libre-échange UE- Mercosur : quels enjeux pour l’agriculture, l’environnement et la démocratie
Regard croisé de la société brésilienne et française.
Un accord historique mais très contesté
En discussion depuis les années 90, l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur a beaucoup fait débat. Il concerne près de 700 millions d’habitants, ce qui en ferait le plus vaste accord jamais conclu par les deux régions en termes de population.
Cet accord a pour objectif affiché de faciliter l’accès aux marchés réciproques des deux régions, car il supprimerait certains droits de douane, notamment sur la viande bovine, le soja et l’automobile et instaurerait des quotas pour certaines commodités, dans une logique classique d’accord de libre-échange.
Après plusieurs phases de tentatives de négociation, le dernier cycle, débuté en 2022 puis achevée en décembre 2024, a permis à Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et aux présidents des pays membres du Mercosur de tomber d’accord. Le texte doit encore être traduit et finalisé sur le plan juridique. Ensuite, le Conseil de l’Union européenne puis le Parlement doivent approuver le texte. La Commission a fait le choix que les parlements nationaux se positionnent uniquement sur le volet politique du texte, mais pas le volet commercial, compétence exclusive de l’Union européenne.
Pour autant, ce traité est loin de faire consensus. En Europe, et particulièrement en France, une large opposition se dessine : syndicats agricoles, ONG, élus et associations environnementales le rejettent massivement. Outre-Atlantique, si les gouvernements du Mercosur affichent une position plus favorable, des organisations de la société civile dénoncent également un accord jugé dangereux.
Agriculture familiale contre agro-industrie

Selon Lucia Ortiz, de l’ONG brésilienne Amigas de Terra, « le secteur de l'agriculture familiale, qui nourrit 70 % des Brésiliens, est opposé à cet accord qui profite principalement à l'agro-industrie exportatrice et consommatrice de pesticides ».
L’accord UE-Mercosur est présenté comme une opportunité économique pour les deux régions. Cependant, il est nécessaire de se poser la question du type d’économie que cela favorise. Alors que les agriculteurs français ont beaucoup proclamé qu’ils étaient les perdants, Lucia Ortiz élargit le débat pour souligner que c’est l’agriculture familiale qui est la grande perdante dans tous les pays :
« Il est évident que le secteur de l'agro-industrie sera le principal bénéficiaire de l'augmentation de la demande et de la libéralisation des exportations de produits agricoles. Le secteur de l'agriculture familiale, qui produit 70 % des denrées alimentaires destinées à la consommation intérieure du pays, sera le grand perdant. »
La concurrence déloyale, tant dénoncée en France, le sera donc aussi à l’intérieur du Mercosur. L’accord profiterait principalement à l’agro-industrie exportatrice, consommatrice de pesticides et déjà largement subventionnée, au détriment de producteurs de petites exploitations. En effet, Amigas de Terra rapporte que cet accord favorise le modèle économique d’agrobusiness, au détriment certes de l’agriculture paysanne, mais aussi d’autres secteurs économiques : pharmaceutique, machines et équipements….
Cette asymétrie renforce une dynamique qualifiée par certains de “néocoloniale” : les pays dits du « sud » exportent des matières premières au bénéfice des pays dits du « nord », ce qui limite leur autonomie et bloque les investissements dans une transition écologique juste.
D’autre part, en Europe, les producteurs et productrices se trouvent aussi exposés à une concurrence déloyale : soumis à des normes sociales et environnementales strictes, ils devront rivaliser avec des produits importés à bas prix, issus d’exploitations où les salaires sont plus bas et les pesticides plus utilisés.
Entre pratiques commerciales néocoloniales et concurrence déloyale au détriment de l’humain et de l’environnement, le débat fait rage. [1]
Un accord nocif pour l’environnement et la santé des populations
L’accord UE-Mercosur repose sur la logique économique des avantages comparatifs : produits agricoles du Mercosur contre industrie européenne. Mais en pratique, cette intensification des échanges se traduit par une aggravation des pressions écologiques poussées par le modèle agro-industriel intensif.
Un exemple emblématique est la déforestation en Amazonie. Selon une étude commandée par le gouvernement français, la ratification de l’accord pourrait entraîner jusqu’à 25% de déforestation supplémentaire liée à l’expansion des pâturages bovins. Or, l’agriculture est déjà responsable d’un quart de la déforestation dans la zone Mercosur.
Cela va notamment en contradiction avec les engagements pris par l’Union européenne pour réglementer la déforestation.
Lucia Ortiz nous explique
« L’augmentation prévue de la production d'agro-commodités va entrainer l'utilisation de pesticides, la conversion de terres écologiquement sensibles en pâturages et en monocultures, ainsi que l'intensification des phénomènes climatiques extrêmes directement crées par le modèle macroéconomique actuel qui favorise l'agro-industrie et l'extraction minière. Tout ceci finit par nuire à la production et aux revenus de l'agriculture familiale. »
En l’absence de garanties sur le respect des accords de Paris sur le climat (encadrement des pesticides, protection des droits sociaux), ce traité risque surtout d’abaisser les standards environnementaux. Les « clauses miroirs » qui auraient permis d’imposer aux exportations les mêmes règles que celles appliquées en Europe, ne figurent pas dans le texte.
Des impacts sociaux préoccupants
Les premières victimes de l’accord UE-Mercosur seront les producteurs de petites exploitations et les populations autochtones. Comme le souligne Lucia Ortiz, « le secteur de l’agriculture familiale sera le grand perdant ».
En Europe, 18 % des agriculteurs vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Au Brésil, 70 % des producteurs dits du "sud" sont considérés comme pauvres ou extrêmement pauvres. L’ouverture totale des marchés risque de renforcer cette précarité, en favorisant les grandes exploitations au détriment de l’agriculture paysanne, plus durable et plus résiliente.
En effet, les grandes exploitations peuvent réaliser des économies d’échelles pour rester compétitives alors qu’une agriculture plus vertueuse est forcément plus coûteuse car elle intègre les coûts cachés (respect de la nature, droit des travailleurs et travailleuses) là où l’agriculture intensive les externalise.
Une démocratie mise de côté
L’opacité des négociations est également au cœur des critiques. Ni les syndicats agricoles, ni les communautés concernées n’ont été consultés. « La transparence et l’accès à l’information sur le contenu des négociations sont très limités », déplore Lucia Ortiz.
Au niveau européen, le constat est le même. L’Union européenne a d’ailleurs séparé l’accord en deux parties pour éviter les vétos nationaux. La France y était particulièrement opposée.
De plus, l’accord appartient à la catégorie dite de « nouvelle génération ». Il permet aux entreprises de contester des lois sociales ou environnementales si elles nuisent à leurs profits en passant par des tribunaux privés. Cela pose un problème de souveraineté démocratique et de contrôle citoyen sur les décisions qui affecteront directement des millions de personnes.
Enfin, l’accord comporte un « mécanisme de rééquilibrage » ; si un pays estime que des normes enfreignent les avantages de l’accord, alors une compensation pourra être mise en place. Cela signifie que des mesures adoptées par les différents pays en matière de normes sociales ou environnementales pourront être nivelées par le bas si elles compromettent les échanges marchands.
Pour un commerce équitable et durable
Max Havelaar France et Amigas de Terra Brasil partagent une même position : il ne s’agit pas de refuser le commerce international, mais de l’encadrer pour qu’il favorise des échanges vertueux où les droits humains et environnementaux sont replacés au centre des accords.
Un véritable partenariat commercial devrait être fondé sur la solidarité, l’équité et la durabilité, en plaçant au premier plan l’intérêt public, les droits humains et le bien commun.
Comme le rappelle Lucia Ortiz, le commerce international peut se déployer « à condition que l'intérêt public, les droits de l'homme, le bien commun et le développement des peuples […] soient placés au-dessus du profit, afin de pouvoir construire avec d'autres pays et régions, dans le cadre de la démocratie et de la participation populaire, des relations internationales, y compris commerciales, fondées sur les principes de la démocratie, de la solidarité, de l'égalité, de la coopération et de la durabilité. »
L’accord UE-Mercosur ne respecte pas ces principes et ne doit donc pas être ratifié.